L’expérience pionnière de la fibre à Biarritz
Le billet historique de Patrice Carré sur l’aventure humaine des télécoms.
A partir de la seconde moitié des années 1970, ce qu’on a appelé « le rattrapage téléphonique » bat son plein. Il s’agit alors de rattraper le retard pris par notre pays dans l’équipement du réseau. C’est l’occasion également d’expérimenter des techniques dont l’avenir allait, bien plus tard, se révéler prometteur…
Conçu dans le cadre du 7ème Plan, le Plan d’action prioritaire de 1975 (dédié à l’équipement téléphonique) va permettre un véritable décollage des télécoms. Parties de très loin, les télécommunications françaises ont su – et le mérite en revient à une politique volontariste impulsée à la fois par un corps technique, les pouvoirs publics et la demande pressante du consommateur – se hisser à un niveau exemplaire. Or, parallèlement à ces opérations d’équipement massif et de déploiement du réseau sur l’ensemble du territoire, techniciens et ingénieurs du C.N.E.T. mènent des recherches qui vont conduire à une réelle avancée de l’industrie électronique française : annuaire électronique, expérience de vidéotex interactif de Vélizy mais également travaux sur la fibre optique et la visiophonie, …
Rupture politique mais continuité technique…
En 1979 le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, décide de faire de Biarritz une ville expérimentale où l’on déploierait de la fibre optique et où seraient testés tous ses usages connus et … à venir. Or, l’alternance politique intervenue après la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981 fit craindre une remise en cause des projets déjà lancés. Il n’en fut rien. Les choses étaient claires. On allait poursuivre les projets techniques et notamment dans le domaine de la télématique et de la fibre. D’autant plus que le 3 novembre 1982 le ministre, Louis Mexandeau, annonçait un programme de lancement de réseaux câblés de télécommunications sur l’ensemble du territoire. Le premier objectif de ce qu’on a appelé le « Plan Câble » était l’installation de 1 400 000 prises de raccordement d’ici à 1985. Ce plan – à mettre en relation avec les débats contemporains sur la communication audiovisuelle – aurait dû avoir une portée dépassant l’innovation technique. Il aurait pu amorcer une politique plus large de transformation audiovisuelle annonçant une convergence entre télécommunications et contenus …
Une première mondiale
C’est à Biarritz, en juillet 1983, que fut donc lancée l’une des toutes premières expérimentations mondiale de fibre optique à domicile. Le projet sera inauguré officiellement par le Président Mitterrand en mai 1984[1]. L’expérimentation durera dix ans. Il s’agissait de tester in vivo ce que pourrait être un « réseau urbain multiservices à large bande », comme on le désigna alors. 1 300 foyers biarrots, 150 lieux institutionnels et 50 sites promotionnels furent connectés à la fibre optique. Le réseau de Biarritz permettait à 1500 abonnés de bénéficier du téléphone, du minitel, de la télévision (15 canaux de télévision dont les chaînes françaises, 2 chaînes espagnoles, 1 chaîne belge et 1 chaîne suisse) et des programmes radiophoniques sonores en FM. L’accès à une vidéothèque en ligne allait également permettre de tester ce qu’on appellerait plus tard – avec le succès que l’on sait- la VOD (Vidéo On Demand).
Une grande nouveauté : la visiophonie
Mais ce qui, sans doute, a suscité alors le plus de curiosité de la part du grand public fut ce qu’on appelait le visiophone. Le visiophone ou téléphone à images se présentait comme un combiné téléphonique couplé à un petit écran de type TV ; il permettait d’effectuer une transmission de son et d’images, en noir et blanc, entre deux correspondants. Le système installé offrait deux catégories de service. Un service commuté permettant l’établissement à la demande, de liaisons entre deux abonnés. Chaque liaison comportait une voie image (de qualité télévision au standard 625 lignes) et une voie son (voie téléphonique numérisée à 64 kbit/s). A l’exception d’un auteur comme Robida (l’un des pères de la science-fiction) qui, à la fin du 19ème siècle, avait imaginé un Téléphonoscope[2] ou de quelques expérimentations sporadiques (1937, années 1960, …) l’idée même de visiophonie restait très marginale. Plusieurs études furent réalisées. Elles arrivaient toutes à la même conclusion. L’appropriation de ce dispositif, conçu et promu comme un enrichissement du téléphone, était problématique. Des études marketing montraient des personnes qui s’inquiétaient de devoir être visibles à tout moment, mais… qui, en revanche, appréciaient la possibilité de voir la personne à laquelle elles s’adressaient !
Un futur d’avance…
Sans le savoir, on avait testé à Biarritz ce qui allait devenir la convergence entre les télécommunications, l’audiovisuel et l’informatique ! Or, les technologies étaient à cette époque (pas si lointaine) loin d’être totalement maîtrisées et très loin d’être réellement stabilisées. Par ailleurs, se posaient des questions de coûts et de tarification qu’il était particulièrement difficile de résoudre dans le contexte économique et historique d’alors. Et, last but not least, se posait déjà la question des contenus ! A quoi sert un tuyau, si puissant soit-il, s’il n’y a pas des services, des contenus diversifiés pour le remplir ? Pendant les dix années de l’expérimentation, outre la visiophonie, des services tels que la vidéo à la demande, des programmes interactifs de télévision, etc. ont pu être évalués. Ce réseau, il y a bientôt quarante ans, montrait la faisabilité technique du FTTH, et les efforts à faire pour aboutir à un coût permettant son déploiement à grande échelle…